Pourquoi le métro pue...

On me tanne depuis longtemps pour que je publie ici mon tout premier article, moi qui suis resté muet depuis sa création, là où mes joyeux camarades ont déjà posté plusieurs textes de leurs crus.


Ce n'étaient pas les idées qui manquaient tant la vie d'un étudiant regorge des ces indignations qui semblent mériter d'être exposées au grand jour. Mais voilà, un peu de fainéantise, un peu de paresse, un peu de perfectionnisme ont fait ce retard que je rattrappe ce soir. Il y a encore une heure je ne pensais pas écrire ce texte. Mais un événement m'y oblige, significatif au possible, contenant en lui-même tous les symptômes de notre triste époque.

J'apprends ce soir la censure pure et simple de l'affiche annonçant le prochain album de Damien Saez dans les couloirs du métro parisien. Cette affiche je vous la mets sous les yeux. Que représente-t-elle? Une femme nue dans un caddie, et deux mots: le nom de l'artiste, Saez, en lettre capitale, et le titre de son album, J'accuse, que n'aurait pas renié Zola.

Censurée, purement et simplement.

L'ARPP, association supervisant l'affichage publicitaire, et dont l'avis n'est que consultatif, sans aucun pouvoir légal, émet un avis défavorable à sa distribution. Que font les grands chevaliers chargés de choisir si oui ou non ils suivent cet avis sans autre autorité que celle dont l'ARPP s'auto-proclame? Un geste fort, grand, merveilleusement symbolique: ils la rejettent et refusent de l'afficher.

Le motif maintenant. Attention, il est à mourir de rire. Ou de désespoir. A moins que ce ne soit la même chose. Atteinte à l'image de la femme. Information importante. Si le féminisme est entre les mains de cette horde de clebs, c'est qu'il est mort.

Nous vivons dans une époque de nains. Et c'est à pleurer. Vous vous demandiez pourquoi le métro pue à ce point? La réponse est là: parce que les marchands de merde y font la loi.

L'affiche, superbe, signée du photographe Modiano, n'est rien moins qu'un acte totalement féministe, et il faut être aveugle pour ne pas le voir. Remise en cause du devenir objet de la femme, accusation limpide de ces macros en cravate qui nous vendent du féminin dans les médias comme d'autres marchandent à la criée sur les marchés: « Elle est bonne, elle est bonne ma blondasse! ». L'image se suffit à elle-même. Le titre ôte toute ambiguïté.

Obscène cette photo? Inappropriée dans un endroit public, à la vue du premier enfant venue? Mais ce sont les mêmes qui nous infligent de la connerie en boîte à heure de grande écoute sur la première chaîne de notre pays. Le message est clair: à mort l'art subversif (pléonasme?), à mort le sens, à mort l'intelligence, à mort la pensée; vive le règne de l'insignifiant, du débile, du futile, et du temps de cerveau disponible. Scandaleuse cette remise en cause de la marchandisation du monde, scandaleuse cette révolte, préférons-lui la promotion d'une bande de glands pathétiques, héros des temps modernes, filmés H24 à torcher des autruches sur un autre continent.

Qui est obscène?

Cette interdiction signifie énormément. Elle n'est en aucun cas, comme annoncée, la protection envers les plus jeunes d'une image pouvant choquer. A l'heure de la télé-réalité, du porno en accès libre sur le net, et des pubs pour parfums avec position du Kamasutra, l'argument ne convainc que les sots ou les complices. Non, ce n'est pas cela. Cette interdiction, c'est le refoulement, la censure pure et simple de tout message jugé déviant, allant contre les intérêts de ceux qui nous promulgent chaque jour à forte dose la pensée dominante, qui est une pensée de la marchandise, de l'objet comme fétiche, de l'argent roi, et de l'homme comme consommateur. L'être humain vu comme une oie que l'on gave. Refus de toute poésie, de tout art, de toute alternative.

C'est l'intelligence qu'on assassine. C'est la pensée libre qu'on exécute. C'est ça le message: laissez-nous penser pour vous, laissez-nous vous fabriquer, vous malaxer, vous formater.

A l'heure qu'il est, toutes les stations de métro à Paris sont couvertes d'affiches en 4X3 promouvant l'engagement dans l'armée française, le tout en détournant sans le dire évidemment une phrase de Nietzsche, Devenez vous-mêmes. Mais qui sait encore qui est Nietzsche? A côté de ces affiches pour l'armée, une autre pour un jeu vidéo. Entre l'abrutissement et la révolte, le choix a été fait.

Voilà l'époque. Voilà son visage. Il n'est pas moche, non, il est hideux. Ce siècle pue. Comme ses métros.


Signé: Loup